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Des milliards d’euros de contrats et d’engagements pour sceller la réconciliation franco-marocaine

L’accord était en préparation depuis deux ans, indique au Monde la directrice générale de Veolia, Estelle Brachlianoff. Mardi 29 octobre, le spécialiste français de la gestion de l’eau et des déchets a signé au Maroc un protocole d’accord estimé à « plusieurs centaines de millions d’euros » pour un projet de dessalement d’eau de mer, « le plus grand d’Afrique et le deuxième plus grand au monde », affirme l’entreprise. Située à proximité de Rabat, la capitale, l’usine, à la capacité annoncée de 300 millions de mètres cubes par an, devrait ouvrir en 2028. Elle sera construite, financée et exploitée par Veolia pour une période de trente-cinq ans, approvisionnant en eau quelque 9 millions d’habitants.
Auparavant, un accord de coopération a été conclu entre l’entreprise française de décarbonation MGH Energy, détenue par Jean-Michel Germa, à l’origine de plusieurs parcs éoliens en France et au Maroc, et Petrom, une société pétrolière appartenant à la famille de l’élue marocaine Mbarka Bouaida. Près de Dakhla, au Sahara occidental, le duo ambitionne de produire 500 000 tonnes par an de carburants de synthèse renouvelables. Le projet, auquel participe l’ancien ministre marocain Driss Benhima, est chiffré à près 5 milliards d’euros, mais le mécanisme de financement de cet investissement d’ampleur, le plus important annoncé durant la visite présidentielle, n’a pas été détaillé. « Nous financerons les premières étapes sur nos fonds propres, mais nous sommes ouverts à tout partenaire », répond MGH, qui dit attendre la validation du projet par l’Agence marocaine pour l’énergie durable (MASEN).
Ces accords font partie des plus de 10 milliards d’euros de contrats commerciaux et d’engagements financiers qui ont été annoncés lors de la visite d’Etat du président français au Maroc, a fait savoir l’Elysée. La moitié de ce montant a été présentée, lundi 28 octobre au soir, lors d’une cérémonie au palais royal de Rabat présidée par Emmanuel Macron et le roi Mohammed VI, devant un parterre de ministres et de chefs d’entreprise français et marocains.
Les signatures ont porté sur vingt-deux accords, présentés comme ayant été « agréés » par les deux chefs d’Etat. Les plus importantes ont trait à la transition énergétique et aux interconnexions électriques, la diplomatie française voyant dans la production de renouvelables au Maroc un moyen de décarboner l’économie du royaume et d’acheminer de l’énergie verte en France.
Les grandes lignes d’un accord-cadre bilatéral sur la coopération énergétique ont été dévoilées au même moment. A la demande de l’Elysée, son contenu a été piloté par l’ancien patron d’Engie et de Suez Gérard Mestrallet, actuel envoyé spécial du président pour le projet de couloir logistique d’intégration entre l’Europe et l’Asie, et Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France.
Comme révélé par Le Monde dimanche 27 octobre, l’un des investissements les plus significatifs vient d’Engie. L’électricien a conclu un partenariat chiffré dans sa première phase à 3,5 milliards d’euros avec l’Office chérifien des phosphates (OCP), l’un des plus grands producteurs mondiaux de phosphates et d’engrais. A travers une coentreprise, dont la date de création n’a pas été fixée, les deux groupes envisagent des projets communs dans les énergies renouvelables, leur stockage, les infrastructures électriques, l’hydrogène vert et le dessalement.
Le potentiel de production d’énergie bas carbone est évalué à 2 gigawatts (GW) d’ici à 2027 et à 6 GW d’ici à 2032. La construction au nord du Maroc d’une boucle électrique de 600 kilomètres, reliant plusieurs sites industriels de l’OCP, est également prévue, avec une possible extension vers le sud au Sahara occidental. Le nombre exact des projets n’est pas encore défini, mais leur montant pourrait atteindre 17 milliards d’euros sur les dix prochaines années.
L’accord était en préparation depuis que la directrice générale d’Engie, Catherine MacGregor, et Mostafa Terrab, le patron de l’OCP, s’étaient rencontrés longuement, pour la première fois, en mars à Rabat. « Mais ça fait huit ans qu’on parle de ce sujet avec eux », assure une source de l’énergéticien français.
Une autre major française, TotalEnergies, a signé de son côté un contrat préliminaire de réservation foncière pour un projet de production d’hydrogène vert, chiffré à 2 milliards d’euros. Plusieurs dizaines de milliers d’hectares de terres seront alloués au groupe, a annoncé l’Elysée. Situé près de la commune de Chbika, dans la région méridionale de Guelmim-Oued Noun, le projet est décrit par le géant pétrogazier comme ayant un potentiel de 1 GW de capacités solaires et éoliennes. Il devrait permettre de produire de l’hydrogène vert et de le transformer en 200 000 tonnes par an d’ammoniac vert à destination du marché européen.
Toujours dans le volet énergétique, un troisième accord concerne EDF Renouvelables pour la deuxième phase du parc éolien de Taza, au nord du royaume. Mais il ne s’agit pas d’une surprise, la filiale du groupe public français ayant déjà mis en service la première phase de ce parc en 2022.
Quant aux rumeurs qui allaient bon train sur l’annonce, lors du voyage présidentiel à Rabat, de la participation de l’électricien au projet d’autoroute électrique entre Dakhla et Casablanca, qui doit permettre de transporter de l’électricité verte produite au Sahara occidental, elles ont été démenties.
EDF confirme au Monde avoir répondu à l’appel à manifestation d’intérêt lancé par l’Office national de l’électricité du Maroc, mais l’établissement public a récemment reporté la date limite de dépôt des propositions pour la sixième fois en moins d’un an. L’annonce en avril d’une possible participation financière au projet de l’Agence française de développement, à travers sa filiale dévolue au secteur privé, Proparco, avait marqué l’amorce du rapprochement entre Paris et Rabat.
En bonne place dans les accords qui ont été signés au palais royal, le secteur ferroviaire a lui aussi fait l’objet d’annonces. La principale concerne Alstom, qui a finalement été désigné comme « soumissionnaire privilégié » pour la fourniture de douze à dix-huit rames à grande vitesse. Le processus d’appel d’offres étant toujours en cours, l’industriel s’est refusé à tout commentaire.
Selon nos informations, son PDG, Henri Poupart-Lafarge, n’a pas voyagé dans les avions présidentiels qui ont atterri lundi à Rabat. Arrivé la veille, il poursuivait lundi encore les négociations avec l’Office national des chemins de fer du Maroc (ONCF). Le marché est estimé entre 450 millions et 750 millions d’euros, mais le concours de fournisseurs marocains et le nombre exact des rames, qui seront toutes produites en France, font encore l’objet de discussions.
Preuve que les entreprises françaises attendaient la réconciliation entre Paris et Rabat, certaines signatures ont dû patienter jusqu’au déplacement au Maroc du chef de l’Etat. C’est le cas d’Egis. Son directeur général n’a paraphé que lundi le contrat d’assistance à la maîtrise d’ouvrage pour la future ligne à grande vitesse Kénitra-Marrakech, d’un montant de 130 millions d’euros, alors que cela fait des mois que la société d’ingénierie a remporté le marché. « L’appel d’offres a été gagné en mai et le résultat annoncé en août, mais il fallait un moment politique propice pour conclure », confie une source.
Peu avant cette cérémonie, à l’issue de son tête-à-tête avec Mohammed VI, Emmanuel Macron a convié le monarque à une visite d’Etat en France. Le dernier déplacement officiel du roi du Maroc à Paris remonte à 2018. Il sera reçu en 2025, précise l’Elysée, ajoutant que sa venue marquera « la suite du processus de refondation des relations » entre les deux pays.
Alexandre Aublanc (Rabat, envoyé spécial)
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